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dimanche 18 janvier 2015

France. Le syndrome de Ferguson §4


De la frontière ténue entre démocraties et dictatures.


Episode 4 : cette Déclaration Universelle des Droits de l'Homme allègrement violée par les plus grandes démocraties (*)



Je tombe, l'autre jour, sur le blog "allainjules", sur une fort intéressante contribution sur la question de l'apologie de terrorisme, contribution d'autant plus intéressante que l'auteur est docteur en droit. J'y retrouve exactement les questions que je me posais moi-même et c'est cela qui m'incite à la reproduire ici, in extenso.

Le vendredi 9 janvier 2015, à 18h47, près d’une heure trente après que les frères Kouachi, soupçonnés de l’attentat du mercredi précédent à Charlie Hebdo, sont tombés dans une scène digne de Butch Cassidy et le Kid, Othman Dahouk, 16 ans, fait figurer sur son compte Facebook l’image « Je suis Kouachi ».

Mauvaise idée. Le mardi 13, il est entendu par un officier de police judiciaire. À ce dernier, qui l’invite à parler et qui lui dit qu’il est dans un pays libre où il peut s’exprimer, il répond : « Je mets un truc sur Facebook, et je suis en garde à vue. Vous trouvez que je suis libre ? »

Le lendemain il est conduit, menotté et sous escorte, devant un juge des enfants, dans la perspective de sa mise en examen du chef d’apologie de terrorisme.

Il garde le silence. Son avocat prend la parole. Il en appelle à la raison, il rappelle au magistrat que dans le contexte de démence collective qui saisit une bonne partie de la population en France, démence dont sont saisies les plus hautes autorités de l’État, il est de son devoir, à lui, magistrat, dernier rempart des libertés, de rester serein et de prononcer ce qui naturellement s’impose devant pareil cas : une ordonnance de non-lieu.

Comment peut-on, dans le contexte malsain d’une idéologie hostile à l’islam, alors que gouvernement et médias nourrissent une psychose collective, « inculper » (comme jadis l’on disait) un gamin de 16 ans pour une pancarte « Je suis Kouachi » ? Alors que dans le même temps on prétend défendre la liberté d’expression, et en particulier le droit de moquer, de railler et de tourner en ridicule ? N’encourage-t-on pas, au contraire, à dire « Je suis Kouachi » ? N’a-t-on pas le droit de tourner en ridicule ce mouvement de foule et son slogan « Je suis Charlie » ?

Il semblerait que non.

Othman Dahouk, 16 ans, a été mis en examen pour apologie de terrorisme. Il encourt cinq ans d’emprisonnement pour une pancarte sur son Facebook (sept ans, même, si l’on tient compte de la circonstance aggravante). Et le magistrat l’a astreint à se soumettre, lui, à une obligation de soins psychologiques !

Sur quoi il convient de faire d’abord remarquer que si la loi doit être claire et précise de manière à ce que l’on puisse prévoir si ce que l’on s’apprête à faire est ou non punissable, cette loi qui incrimine « l’apologie de terrorisme » ne l’est guère, tout simplement parce qu’un élément de cette formule ne l’est pas.

« Apologie »

Le mot apologie, selon le dictionnaire Bloch et Warturg, est emprunté au latin ecclésiastique apologia et provient du grec apologia, qui signifie « défense », dérivé du mot apologos, qui au sens propre signifie « récit », « narration ». Il est vrai que toute défense, en droit pénal, commence par raconter ce qui s’est passé. Le Robert parle de « discours écrit visant à défendre, à justifier », c’est un plaidoyer.

Même si on pressent qu’il y a quelque abus à voir dans trois mots l’expression d’un plaidoyer (la plaidoirie la plus brève qu’il m’ait été donné de tenir jusqu’à présent en comportait quatre), le sens du terme est suffisamment précis pour répondre au principe de légalité.

« Terrorisme »

Il en va autrement avec le mot « terrorisme ». Notons d’abord que la même réalité peut recevoir des termes synonymes : partisan, résistant, guérillero, franc-tireur, rebelle, insurgé, membre d’un corps franc, milicien ou… terroriste. Tout dépend de l’endroit et du moment d’où l’on perçoit le phénomène. Le « terrorisme » n’est pas une infraction en soi, mais englobe de nombreuses choses qui peuvent être des infractions, lorsqu’elles ne sont pas légitimées par le pouvoir en place, ou même n’en être pas (comme de simplement parler, écrire, dessiner faire un geste, etc.).

Par exemple, on va prochainement (mai 2015) faire entrer au Panthéon, pour les donner en exemple à la Nation, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay, quatre « résistants » qui par leurs actes et mêmes leurs pensées étaient perçus comme des terroristes par les autorités et par la population de 1942 à 1944.

Et le Président Sarkozy n’avait-il pas ordonné que l’on lise à la jeunesse des écoles la lettre « d’adieu à ma petite maman », de Guy Môquet ? Et dans un autre registre, n’a-t-on pas fait de Che Guevarra une icône marketing ?

Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, n’a-t-il pas dit que le Front Al-Nosra faisait « du bon boulot » ? Il s’agit pourtant d’une organisation terroriste, qui opère en Syrie et qui s’y livre à des horreurs autrement plus graves que ce qui est arrivé à Paris le 7 janvier 2015. Le tribunal administratif de Paris a même reconnu que de tels propos relevaient de la politique internationale de la France.

Le phénomène est donc extrêmement difficile à appréhender. Combattant glorieux pour les uns, criminel odieux pour les autres, le terroriste n’est vraisemblablement ni l’un ni l’autre. Seulement il se trouve que le cadre juridique ne comprend que deux catégories, et qu’il faut bien l’y faire rentrer.

Sans faire de la sociologie juridique d’avant-garde à l’américaine, il est évident que la décision du juge va dépendre du pouvoir en place. Selon que vous êtes appréhendé sous un régime libéral et libertaire du genre de n’importe quel État occidental, ou que vous êtes arrêté pour les mêmes faits sous un califat dans le style État islamique, votre sort ne sera pas le même. Pour les uns vous êtes un criminel impardonnable ou un fou, tandis que pour les autres vous êtes le saint et le héros qui a exécuté la fatwa.

Tout dépend aussi de l’endroit où vous opérez. Sur sol syrien ou irakien vous pouvez décapiter, violer, torturer à loisir (à condition toutefois de ne pas toucher aux journalistes occidentaux). En France en revanche, c’est « tolérance zéro » : le voile pour les femmes, la barbe pour les hommes, suffisent à vous rendre suspects.

Et même sous un régime libéral et libertaire, tout va dépendre, à quelques jours, parfois à quelques heures près, des degrés de pression politique, de propagande et de mobilisation de l’opinion publique. En période de calme relatif il ne vous arrivera rien. Mais gare si vous n’avez pas senti le vent tourner, même si le vent tourne après, bien après que vous ayez dit ce que vous avez dit.

Par conséquent, il est extrêmement dangereux de faire figurer dans la loi pénale ce terme obscur et vague de « terrorisme ». C’est laisser à l’arbitraire du magistrat le choix de condamner ou de relaxer, sans que l’on puisse prévoir à l’avance sa réaction. Cela crée une atmosphère extrêmement malsaine. L’emploi du mot, en réalité, est le signal de la guerre civile. Il n’a pas à figurer dans la loi.

Damien Viguier
Avocat – Docteur en Droit

Fin de citation (source)


J'ai bien failli accepter l'analyse de ce brillant juriste dans son intégralité, mais après réflexion, je dois bien y apporter quelques commentaires, à commencer par le regret que notre juriste n'évoque jamais l'autre versant de la problématique qu'il pose : à partir de quand la société doit-elle vous considérer comme étant un terroriste ?

Ma réponse : à partir du moment où un tribunal vous a expressément condamné pour ce faire et que la décision est devenue définitive. Et c'est bien ce que je reprocherais volontiers à notre juriste de ne pas avoir précisé. À ce jour, dans l'affaire Charlie Hebdo (et cela vaut également pour l'Hyper Casher), personne n'a encore été condamné pour terrorisme, pas même pour crime...

Et si personne n'a encore été condamné..., où est le problème ?

Résumons

Othman Dahouk, 16 ans, a été mis en examen pour apologie de terrorisme. Il encourt cinq ans d’emprisonnement pour une pancarte sur son Facebook (sept ans, même, si l’on tient compte de la circonstance aggravante). Et le magistrat l’a astreint à se soumettre, lui, à une obligation de soins psychologiques !

Ce garçon a écrit "Je suis Kouachi" sur sa page Facebook. C'est bien cela qui lui vaut de se retrouver devant un juge ?

Je pense aussi que le terme fluctuant de "terrorisme" n'a rien à faire dans un code pénal. Mais il y a plus grave, et notre juriste n'insiste pas suffisamment dessus. Cela tient en une question : 

Question : avez-vous entendu un seul représentant de la magistrature française déclarer que les frères Kouachi et Amédy Coulibaly étaient des terroristes ?

Imaginons, une seconde, que ces garçons - à l'instar des Merah, Kelkal... - aient été livrés vivants à la Justice. Quel serait leur statut aujourd'hui ? Mis en examen ? Placés en détention provisoire ?

Veut-on nous faire croire que "mis en examen" ou "placé en détention provisoire" signifie "coupable" ? 

Que la rumeur publique et de mauvais journalistes affirment que les frères Kouachi sont les tueurs de Charlie Hebdo et que Amédy Coulibaly est le tueur de l'Hyper Casher de la Porte de Vincennes, on mettra cela sur le compte de la méconnaissance du droit, voire tout simplement de la stupidité.

Mais un magistrat ! Qui sait, mieux que personne, ce que "présomption d'innocence" veut dire ! Qui sait, mieux que quiconque, que cette présomption est garantie par rien moins que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme !

Dans les décisions de justice à venir, dont j'ai cru comprendre qu'il y en avait un certain nombre, notamment celles concernant Dieudonné M'bala M'bala ("je me sens Charlie Coulibaly") et le jeune Dahouk ("je suis Kouachi"), pour prononcer quelque condamnation que ce soit, les juges vont devoir préalablement coucher sur le papier l'équation :

Kouachi ou Coulibaly = terrorisme

C'est ici que je vais oser un pronostic : je ne vois pas un juge digne de ce nom (je ne parle pas ici d'un fonctionnaire, d'un journaliste ou d'un politicien ; je parle de gens dont le métier est de rendre la justice.) prononcer une condamnation post-mortem à l'égard des dénommés Kouachi et Coulibaly.

Et partant, je ne vois pas très bien comment au moins une de ces procédures - je n'évoque ici que les messages ayant éventuellement exprimé de l'empathie voire de la sympathie pour des sujets présumés innocents - ne déboucherait pas, in fine, sur un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à laquelle il reviendra de déclarer caduque - ou non - l'article 11 de la fameuse Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (de 1948).


Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

Article 11. Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis. »

(*) Je connais l'argumentation des technocrates du "Droit" (majuscule ou minuscule ?), à savoir que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'a aucun caractère contraignant et ne relève, donc, pas du "Droit positif" (celui que les juridictions sont censées appliquer. Sur la question de la présomption d'i'nnocence, il existe bien une loi dite Guigou). Cette bonne blague ! Parce que, quel est précisément l'argument sur lequel se fondent les propagandistes de la "supériorité" des démocraties sur les dictatures,  et de quoi pérorent-ils à profusion au sujet du prétendu "choc des civilisations" ? Sinon, précisément, le respect de certaines valeurs, dont les droits de l'Homme ? Par ailleurs, nos technocrates du droit oublient que, dans les sources du droit, il y a notamment la coutume, les principes généraux du droit, etc. J'attends, donc, d'entendre une autorité politique française déclarer solennellement que la France ne se sent aucunement concernée par l'article 11 précité.

Par ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l'Homme, agissant en qualité de Super Cour de Cassation européenne, dispose de ses propres critères pour émettre des arrêts qui, eux, sont bel et bien contraignants pour les tribunaux nationaux. N'est-ce pas cela le plus important ?