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vendredi 4 mars 2011

Lettre ouverte à Luc Chatel en sa qualité d'"expert autoproclamé en signes religieux"



"Tout ce qu'on demande à cette femme c'est d'enlever son uniforme religieux quand elle arrive à la crèche." Elisabeth Badinter, experte en signes religieux musulmans, interview Yves Calvi, RTL, 11 octobre 2010 (1).



Monsieur le ministre,

Depuis quelques jours, je lis et entends partout que vous seriez intervenu dans un conflit opposant une directrice d'école à une mère de famille, la première ne désirant pas que la seconde puisse participer à l'encadrement de sorties scolaires en raison du port de...

...du port de quoi, au fait ?


Lu sur Internet :

Une femme qui porte le voile peut-elle accompagner une sortie scolaire ? La directrice de l’école élémentaire Joséphine-Baker à Pantin (Seine-Saint-Denis) a clairement pris position, refusant qu’une mère de famille voilée participe à une sortie. Une décision qui a choqué l’intéressée ainsi que la FCPE, principale fédération de parents d’élèves.


Le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, a apporté jeudi son soutien à une directrice d’école qui avait interdit à une mère voilée d’accompagner son fils lors d’une sortie scolaire. Pour le ministre, le principe de laïcité doit aussi s’appliquer aux parents d’élèves.

“Je décide de soutenir cette directrice d’école“, a-t-il déclaré à Marseille. “La laïcité est au coeur du Pacte républicain, nous n’avons pas à déroger à ses principes. Il s’agit d’un sujet pédagogique. Les parents d’élèves doivent respecter les principes de neutralité et de laïcité“, a souligné Luc Chatel. “L’école de la République est testée régulièrement, nous nous devons d’être intelligents pour répondre à cela“, a ajouté le ministre de l’Éducation.

Selon le récit du Parisien de jeudi, Luc Chatel a écrit aux parents d’élèves d’une école de Pantin (Seine-Saint-Denis), qui ont protesté contre la décision de la directrice d’interdire à une mère voilée d’accompagner son fils de CP lors d’une sortie scolaire, en novembre dernier.

Fin de citation.

Je reprends la première phrase de cet article : "Une femme qui porte le voile peut-elle accompagner une sortie scolaire ?"

Pour la directrice d'école, que vous avez soutenue, la réponse évidente est "non".

Soit. Mais il me semble, monsieur le ministre, que vous avez sauté une étape.

Une étape consistant à bien s'entendre sur ce dont on parle. Ce qui amène une question : qu'appelle-t-on voile ?

Un bout de tissu que l'on porte :

1) sur la tête ?
2) qui recouvre les seuls cheveux ?
3) qui recouvre également le cou ?
4) qui dissimule également le visage mais pas les yeux ?
4) qui dissimule également le visage et les yeux ?
5) qui dissimule aux regards l'intégralité de la silhouette ?

Pouvez-vous me donner, monsieur le ministre, la définition d'un voile..., comment dites-vous déjà ?, constitutif d'une appartenance religieuse ?

En d'autres termes, la langue française est-elle donc si pauvre, que l'on éprouve le besoin de ranger, sous le même vocable, à savoir "VOILE", un bout de tissu recouvrant les cheveux, une chasuble recouvrant la tête et le cou, une cagoule dissimulant tout ou partie du visage et une tunique enveloppant totalement la silhouette, tous objets supposés révéler une appartenance à une religion ?

En clair, le port d'un foulard noué derrière la nuque ou sous le menton serait-il aussi révélateur d'un comportement religieux que le port d'une cagoule, d'un masque facial ou d'une tenue intégrale recouvrant une personne de la tête aux pieds ?

Questions : où y a-t-il écrit cela ?, et subsidiairement, qui décide de quoi ?

Parce que je suppose que l'objet en question ne pose problème qu'en sa qualité de signe d'appartenance à une religion !

Et c'est là qu'il me vient comme l'envie d'aller jeter un coup d'oeil sur  cette fameuse loi de 2004, relative aux signes d'appartenance religieuse en milieu scolaire.

La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité , le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, interdit expressément le port “dans les écoles, les collèges et les lycées publics, […] de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.” 


Voici le fameux article fixant la norme en milieu scolaire :

Il est inséré, dans le code de l’éducation, après l’article L. 141-5, un article L. 141-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »


Je lis, donc, "signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse".

Ce qui est étrange dans ce texte, dont je sais qu'il fut longuement discuté, notamment dans le cadre de la commission Stasi, par tout un aréopage de sommités intellectuelles, c'est l'absence des comportements..., je veux dire que je m'étonne que l'on ait limité les indices d'une appartenance religieuse à des accessoires vestimentaires, en laissant de côté toute une foule de choses allant, par exemple, du discours à la distribution de tracts, ouvertement ou en sous-main.

Le gros problème de ce texte, dont on nous a promis monts et merveilles, et dont on nous dit qu'il aurait réglé tous les problèmes tenant à la présence de la religion à l'école, c'est que personne ne se soit donné la peine de décrire ce à quoi pouvait bien ressembler un "signe ou une tenue manifestant ostensiblement l'appartenance religieuse."

Mais dans l'affaire qui nous occupe, il ne s'agit pas d'élèves mais d'une mère de famille souhaitant participer à l'encadrement de sorties scolaires. 

Et voilà qu'on nous ressort l'histoire des signes d'appartenance religieuse. Et c'est là que je reprends ma typologie de tout à l'heure, en cinq points, en constatant que, dans le silence de la loi, c'est aux chefs d'établissement qu'il incomberait de se muer en experts en signes d'appartenance religieuse tant des élèves que de leurs parents. 

Question : le fait d'avoir investi les chefs d'établissement d'une autorité mentionnée nulle part est-il légal ?

Les principes généraux du droit disposent que nul ne saurait être juge et partie, de même que nul ne saurait être juge et expert. Ce qui explique que, dans des affaires sensibles ou requérant des savoirs particuliers, les juges nomment des experts.

Curieusement, quand il s'agit de juger de l'appartenance éventuelle d'une personne à une religion, voilà que les chefs d'établissements sont appelés, non seulement à prononcer un jugement, mais d'abord à agir en qualité d'experts.

Les juges scolaires que sont les chefs d'établissements seraient ainsi leurs propres experts en matière religieuse. Est-ce seulement admissible dans un État de droit ?

Pour illustrer la difficulté de la question, je ferai appel à deux types d'argumentation, l'un tiré de la pratique quotidienne, l'autre tiré de l'iconographie.

1. La pratique quotidienne : nous connaissons tous ces images de femmes journalistes de télévision en reportage en Iran, Afghanistan ou en Arabie Saoudite : invariablement, elles arborent un foulard sur la tête. Le fait est que lorsqu'un avion de ligne d'une compagnie occidentale fait escale sur un aéroport d'Arabie Saoudite, d'Iran ou d'Afghanistan, toutes les passagères et hôtesses auront pris soin de se couvrir la tête d'un fichu, avant de quitter l'avion.

Question : le fait pour une femme de se couvrir la tête d'un foulard, lors d'un voyage dans un pays comme l'Iran ou l'Afghanistan, vaut-il conversion à l'Islam ?

Réponse : bien sûr que non !

Dans ces conditions, la démonstration est faite que le simple port d'un foulard sur la tête n'a jamais constitué un quelconque signe d'appartenance religieuse... Ici, il s'agirait plutôt d'une forme de pudeur requise par les autorités de tel ou tel pays à l'égard des femmes. La preuve en est qu'aucune journaliste occidentale oeuvrant en Arabie Saoudite, par exemple, ne s'est vu imposer le port de la tenue intégrale, pourtant fort répandue dans ce pays !

En Arabie Saoudite, pour nous en tenir à ce pays, les Occidentales arborent un simple foulard, pas de niqab. Et c'est là un indice important. Autre chose... 

2. L'iconographie

a) Deux célèbres tableaux de Vermeer : La laitière et La jeune fille à la perle. Quelqu'un pourrait-il me dire quelle est la religion des jeunes femmes peintes par l'artiste ?

b) Georges de la Tour est l'auteur de variations sur le thème du tricheurOn y aperçoit des personnages féminins à la tête recouverte. Même interrogation : quelqu'un serait-il en mesure de nous dire quelle était la religion de ces femmes ?

c) Madame Y. L'image qui suit est une réalisation de votre serviteur, armé d'une palette graphique et d'un tout petit logiciel de dessin. Grande héléniste, académicienne française, peu habituée aux apparitions médiatiques, mais dont je me souviens assez bien, avec sa tête toujours recouverte d'un foulard, parfois d'un châle. Sans être prétentieux, j'estime mon dessin plutôt ressemblant.

Question : monsieur le ministre, savez-vous quelle était la religion de Marguerite Yourcenar ? Et déduiriez-vous de l'image qui suit la religion en question ?




Et, par ailleurs, le port du foulard par les Antillaises est-il constitutif d'une appartenance religieuse ?

Pour nous résumer, si une hôtesse de l'air ou une journaliste occidentale opérant en Iran n'embrasse pas la foi musulmane en se couvrant la tête d'un foulard (lequel foulard n'est pas un voile !), si la présence d'un couvre-chef ne présume en rien de la religion de tel ou tel personnage, connu ou non (ex. Marguerite Yourcenar), qui peut, aujourd'hui, affirmer, de manière péremptoire, que le fichu que telle ou telle mère de famille arbore sur la tête serait révélateur d'une appartenance religieuse ?

Car dans le cas contraire, il s'avèrerait que la ou les lois relatives aux signes religieux contien(nen)t, en filigrane, des dispositions non écrites faisant des chefs d'établissement, voire de telle ou telle catégorie de fonctionnaires, des experts en signes religieux. La loi française comporterait, donc, des clauses cachées, pour ne pas dire secrètes voire occultes, et l'on comprend mieux, dès lors, pourquoi, en 2004, Gauche et Droite ont soigneusement tenu à éviter toute saisine du Conseil constitutionnel.

Dans le cas d'espèce, je constate simplement :

1. que la mère de famille en question ne porte pas de voile mais un simple foulard, ni plus ni moins ostensible que celui de Marguerite Yourcenar !

2. que la directrice d'école n'a visiblement passé aucun diplôme d'identification de signes religieux, ce qui la disqualifie complètement en la matière, à moins que la mère de famille incriminée n'ait été assez stupide pour décliner sa religion en public (erreur que tout le monde ne commettra pas forcément.).

En conséquence, dès lors que la référence à la religion n'est pas inscrite sur le visage d'une femme portant foulard, rien ne vous autorise, monsieur le ministre, ni vous ni qui que ce soit d'autre, d'exciper de je ne sais quel fantasme, qui vous serait propre, la religion de cette personne, car cela relèverait du délit de faciès.

En ce qui me concerne, si, d'aventure, une amie, ou une cousine, une voisine, une connaissance... venait à se retrouver en situation d'exclusion d'une école, d'un collège, lycée ou de toute institution publique, pour port de tissu sur la tête, je lui intimerais d'abord l'ordre de se taire, ce qui mettrait automatiquement l'institution dans l'obligation d'apporter la preuve de l'appartenance religieuse supposée, conformément au principe qui veut qu'"il incombe à la partie qui invoque un fait d'en apporter la preuve.".

Et, devant un tribunal, je vous garantis que ce procès, nous le gagnerons haut la main ! Car je me fais fort de faire constater par les juges que les chefs d'établissements scolaires n'ont été investis par personne ni par aucun texte en qualité d'experts en signes religieux, et qu'à défaut d'être des experts en signes religieux, les chefs d'établissements se doivent impérativement de recourir à une expertise dûment autorisée avant de décider de quoi que ce soit... Et partant, tout ce à quoi nous assistons, depuis au moins 2004, relève de l'imposture.

Tant il est vrai que tant que Samira n'a pas fait publiquement état de sa religion, rien ne vous autorise à lui en attribuer une !




(1) Elisabeth Badinter n'est pas musulmane, c'est là son moindre défaut, comme aurait écrit La Fontaine, et comme elle se prend pour une immense intellectuelle, elle pense pouvoir tout dire, y compris les pires sottises, comme cette histoire d'uniforme ! Parce que si elle avait été moins stupide, elle saurait qu'une religieuse catholique porte un uniforme, qui est la marque distinctive de son métier, parce que religieuse, c'est un métier, tout le contraire du statut de la femme évoquée plus haut, dont la tenue n'a aucune connotation professionnelle, l'Islam sunnite n'ayant pas de prêtres et encore moins de religieuses !