Translate

mardi 1 juin 2010

Un naufrage...

Mon père lisait la Torah, dans le texte !

Il est arrivé, un soir, avec de gros bouquins reliés de rouge, qu'il a posés délicatement sur la table du salon. Puis il en a ouvert un par l''arrière', je veux dire par la dernière page, et a commencé à lire, en déplaçant son index de droite à gauche, tout en prononçant des sons vraiment bizarres. C'était de l'hébreu.

Mon père devait être le seul Africain, au sud du Sahara, à pouvoir lire la Torah dans le texte.

Qui lui a appris l'hébreu ? Je ne sais pas trop. Il ne nous a jamais fait de confidences sur la question. Je sais seulement qu'il se rendait régulièrement chez un certain monsieur Weil ou Veil (comme Simone V.), disons tous les deux dimanches. Je suppose que ce bon monsieur Weil s'était réfugié en Afrique centrale durant les années que vous savez, loin de Pétain et de Laval... Et c'est probablement lui qui a initié mon père à l'hébreu biblique.

Et puis, des décennies plus tard, mon père a fait le voyage en "Terre sainte". Il a dû passer par Bethléhem, en Palestine occupée. Mais on n'allait pas demander à mon pasteur de père de pinailler sur le droit international et la question de savoir si Hébron, Nazareth, Jérusalem ou Bethléhem étaient en Palestine ou en Israël. Tout cela se situait en Terre Sainte, dénomination bien commode ! C'était bien longtemps avant les Intifadas.

Mais encore plus en avant que les Intifadas, il y eut toutes ces guerres, dont la guerre dite des Six jours. Je vois encore mon père sortant de sa chambre, la mine défaite, et s'écriant : "Vous savez quoi ? L'armée israélienne est encerclée par les Egyptiens!"

Mon père passait ses journées près de son transistor, toujours branché sur la Voix de l'Amérique ou les émissions en français de la BBC. Et ce jour-là la nouvelle était tombée qu'Israël, son Israël, était en grosse difficulté face aux troupes arabes.

Comme chacun sait, cette guerre-là n'a duré que six jours, enfin, façon de parler, car, dans les faits, elle dure déjà depuis quelques millénaires, et rien ne permet de dire que les choses s'arrêtent demain.

Je crois que vous avez compris que mon père était un grand admirateur d'Israël, le peuple de la Bible, le "peuple élu" ! Un grand admirateur, jusqu'au jour où...

Quelqu'un parmi mes frères et soeurs a dû lui offrir un téléviseur. Et c'est sur ce téléviseur qu'il a découvert les premières images de ce qu'on n'appelait pas encore l'Intifada : il s'agissait de deux gamins palestiniens, que des soldats israéliens étaient en train de tabasser méthodiquement, utilisant des masses, comme des cailloux, pour frapper très précisément sur les membres des gamins, comme pour leur briser les os et les articulations. Des images incroyables !

Parce que l'Intifada des petits Palestiniens a commencé comme cela : des soldats israéliens évitant de tirer à balles réelles sur ces enfants (ils se rattraperont largement plus tard !), et se "contentant" de leur briser méthodiquement les os en tapant dessus.

Mon père arrive un jour à Paris. J'ai été prévenu qu'il n'allait pas bien. Mais là, je découvre comme un déporté débarquant de Buchenwald en 1945, avec à peine la peau sur les os.

De l'anorexie, à son âge ? Non mais, ça ne va pas ?

Et pour corser le tout, il avait fait un A.V.C. (accident vasculaire cérébral) qui lui a laissé une moitié du visage presque paralysée. Et comme c'est de coutume dans nombre de républiques bananières africaines, direction la "mère patrie" : la France, parce que, chez nous, les hôpitaux, je ne vous raconte pas.

Durant de longs mois, je ne l'ai pratiquement pas lâché d'une semelle. J'ai donc dû revoir tous mes projets à la baisse, me transformant en infirmier, cuisinier, etc., et surtout, l'accompagnant lors des nombreuses visites à l'hôpital (Cochin), où il a subi toute la panoplie des tests possibles et imaginables.

Et puis, des mois plus tard, il a repris l'avion du retour, complètement remis d'aplomb.

Mais, des années plus tard, rebelote. Cette fois encore, il est question de le mettre dans un avion, mais là, il semble que les choses soient un peu plus compliquées que la première fois. Mon père va mourir à soixante-seize ans, d'anorexie mentale.

J'ai mis des années avant de comprendre. Il se trouve que les deux crises d'anorexie ont correspondu avec les deux Intifadas. Le fait est que mon père est mort pile-poil durant la deuxième Intifada en Palestine, tout comme il a développé sa première anorexie après le déclenchement de la première.

C'est donc ainsi que je me suis expliqué le problème : tant qu'Israël, son Israël, était en butte à l'hostilité de méchantes armées arabes, mon père a fait cause commune avec l'Etat hébreu. Et puis il y a eu la révolte des pierres déclenchée par des gamins de Palestine. Et là, tout a basculé, et ce, d'autant plus que, cette fois-ci, il y avait les images ! Ces terribles images d'une armée surpuissante donnant l'assaut à des bandes d'adolescents. Et voilà comment le peuple élu est devenu un peuple de bourreaux.

Et du coup, mon père, qui était un intégriste à sa manière, a voulu prendre sur lui le péché du monde, je veux dire le péché d'Israël, en se laissant littéralement mourir de faim. La première fois, ça n'a pas marché, puisque j'ai dû m'employer pour le remettre sur pied, mais la seconde a été la bonne.

Autant dire que, dans une certaine mesure, mon père est une victime de l'Intifada en Palestine !

Et dans un sens, il vaut mieux pour lui qu'il soit mort à ce moment-là, ce qui le dispensera d'une nouvelle mort à chaque nouvelle agression israélienne contre les Palestiniens. De fait, mon père, ce grand admirateur du "peuple élu", a échappé à la boucherie de Gaza, dite "Plomb durci" comme à d'autres massacres au Liban et ailleurs.

Et bien entendu, après l'acte de piraterie d'Etat commis contre des organisations pacifistes et dans les eaux internationales, en ce 31 mai 2010, les experts en COM de la propagande israélienne ont déclenché la grosse artillerie. Et là, on se dit : Dieu qu'ils sont pitoyables !




Lu sur lepost.fr cette contribution au forum :

sadawi à 12h01 (1er juin 2010)
Ce qui est choquant,c'est lorsque Pujadas, journaliste aux infos et Charles anderlin, enovoyé spécial à tel aviv, traitent le sujet comme si'ils étaient partie prenante et contre les palestiniens.
Il est vrai que le premier craint pour son poste, le second,parcequ'il a été décoré par israel par je ne sais quelle médaille de je ne sais quel mérite.
Lamentable.

Je dois dire que je partage l'avis de cet internaute, notamment à l'égard de ce pauvre guignol qu'est David Pujadas. En temps "normal", ce genre de zigoto vous aurait clamé son horreur à l'idée de diffuser des images d'otages occidentaux filmés par leurs bourreaux afghans ou irakiens, dans le genre : "vous comprenez, notre déontologie nous interdit de diffuser ce genre d'images de propagande."

Soit ! Sauf que, cette fois-là (journal de 20 h sur France 2, le 31 mai 2010), Pujadas (mais il n'est pas le seul !) nous a abreuvé d'images de propagande émanant de ceux qui venaient de violer le droit international, et de quelle manière ! Donc, on a eu droit à ce qui était censé être l'assaut israélien contre la flotille pour Gaza, le tout étant censé démontrer l'agressivité et le caractère belliciste des soi-disant pacifistes. Images de propagande, donc, dont l'authenticité était plus que douteuse, dès lors que l'on ne reconnaissait aucun visage. Mais, nous a-t-on expliqué, "il s'agissait d'images en infrarouge, d'où le noir et blanc..."

Des images de propagande, forcément manipulées, et qui auraient fort bien pu être tournées dans une base israélienne, lors d'un exercice... Personne ne peut affirmer que ce que nous avons vu à la télévision, moult fois rediffusé, notamment sur les chaînes info, était authentique.

Et puis, après tout, quelle importance ? Nous étions dans les eaux internationales et les soldats israéliens n'avaient tout simplement rien à faire à cet endroit-là et à ce moment-là ! Ce que Pujadas et les larves de son espèce se sont bien gardés de préciser, le droit international étant le grand oublié des spécialistes de l'intox.

Et, de fait, plutôt que d'interroger un expert en droit international, notre guignol de France 2 a préféré donner longuement la parole à un membre du ministère israélien de la propagande, et là, je vous avoue que j'ai zappé !

Je n'irai pas jusqu'à dire que mon père avait perdu la foi en Dieu, mais je suis absolument certain d'une chose : dans sa tête, le "peuple élu" était bel et bien mort !

Et à chaque fois que des Israéliens tuent des Palestiniens, ou lancent une de ces opérations bellicistes dont ils se sont fait la spécialité, je pense à mon père en me disant que, quelque part, il aurait bien aimé se muer en successeur de Paul (chez les protestants, on ne dit pas Saint Paul, ni Saint Matthieu, ni Saint Jean... !), afin d'aller évangéliser, notamment en Asie mineure, tous ceux qui n'avaient pas encore été gagnés par le 'Gospel', la Bonne Nouvelle, je veux dire le Nouveau Testament, à savoir l'effacement de la Loi du Tallion et son remplacement par l'Amour du prochain !

Mon père est mort de désespoir, considérant probablement son impuissance à changer Israël, son Israël !

Un Israël qui fait terriblement penser au Vaisseau Fantôme de Richard Wagner, un navire engagé vers un naufrage irrémédiable, faute de grands Hommes susceptibles de le tirer de ce mauvais pas... Et là, on se dit qu'il faudrait de toute urgence à ce pays un Albert Schweitzer, une Mère Teresa, un Mahatma Gandhi, un Nelson Mandela ou une haute personnalité ayant le même profil.

Parce que, de grands soldats, ce pays ne doit pas en manquer, de grands experts en COM non plus ; mais de grands Hommes...?!



P. B. (Pense-bête)

Penser à offrir à la journaliste Elisabeth Lévy (entre autres destinataires) un ouvrage d'Albert Schweitzer, ou la biographie du Mahatma Gandhi, et pourquoi pas une copie des Béatitudes (Matthieu 5) ?